Tel est ton nom

La lumière venait de partout et aucun soleil ne brillait dans ce ciel de granit. D'ailleurs, aucun habitant de ces lieux n'ayant jamais eu connaissance de l'existence d'un soleil au dessus de la surface, ni même de l'existence d'une surface au dessus du Ciel, ce fait n'étonnait personne. La lumière venait de partout, et c'est pour cette raison que les deux vieux, ayant besoin de beaucoup de sommeil, au crepuscule de leur si longue vie, avaient fermé leur tente.

Dans cette partie du Monde comme ailleurs, en effet, les humains et les animaux se cachaient dans le noir, quand ils devaient dormir; parfois quelque philosophe solitaire en venait à se demander pourquoi la nature en avait décidé ainsi, puisque jamais la lumière ne baissait, même lorsque la température était au plus bas de la journée, à quelques dixièmes de degrés en dessous de sa valeur moyenne; mais ces spéculations ne menaient jamais très loin, et l'on pensait à autre chose, de moins stérile...

L'habitation des deux vieux, donc, était située dans un coin relativement peu fréquenté, au milieu d'un triste jardin, séparé du chemin le plus proche par une mince rivière qu'enjambait une douteuse passerelle de pierres rougeâtres. En bordure du jardin, autrefois, le vieux avait élevé un petit mur, afin d'éviter que son lopin de terre ne soit piétiné par des voyageurs inconscients... Bien entendu, cela avait été bien plus pour se donner une occupation que par nécessite, car, en ces contrées, de voyageurs, on ne voyait pas. Ou très rarement.

Sur ce petit mur, aujourd'hui un peu miné par l'humidité et moussu, trônait une belle pomme bien rouge et si appétissante, cueillie quelques heures à peine auparavant dans le tout proche verger, lui-même entouré d'une barrière de solide facture, utile, elle...

De derrière le petit mur, surgit soudain une main d'enfant, sale, maigre, à six doigts, s'emparant vite fait de l'objet de convoitise. Avant qu'elle puisse disparaître à jamais avec le fruit de son larcin, une autre main, ridée, nerveuse, l'attrapa:
- "Ne recommence jamais! Sale petit voleur! Tu vas voir ce que... Aïe!..."
- "Qu'y-a-t'il, la vieille?", demanda la voix agacée du vieux qui cherchait à se reposer en paix, sous la tente.
- "Le... Le petit monstre m'a mordue!... En emportant une pomme!"

En effet, au loin, on voyait courir l'enfant (l'enfant?), les poings serrés, un petit animal rongeur trottinant à ses côtés avec la pomme entre les mâchoires. Il semblait en colère, de s'être laissé prendre à un piège aussi stupide et évident.

Tout en continuant sa course sans retour, il se retourna vers la vieille et, d'un regard qui transperça son âme, la pétrifia de terreur... Elle en resta muette et immobile sur le moment.
- "Laisse-moi donc dormir et arrête de crier!", renchérit le vieux, inconscient de ce qui venait de se passer, en baillant:

"s'il est petit, tu ne devrais pas en avoir si peur, et si c'est un monstre, crois-moi, il ne survivra pas bien longtemps!"

L'enfant avait disparu dans un tunnel.

Au bout d'un long moment, la vieille retourna dans la tente, lasse et effrayée, ferma, et s'allongea près de son vieil époux en grommelant contre le petit voleur...

Dans le tunnel, comme dans tous les tunnels provisoires, il faisait relativement sombre, ce qui permit à l'enfant de trouver un abri tranquille pour dévorer ce qu'il avait dérobé, non sans partager avec le petit animal qui l'avait aidé dans sa fuite. Le petit rongeur ressemblait au produit du croisement entre un rat et un lémurien; ses yeux mignons et globuleux luisaient dans le noir. Assurément, cette petite bestiole était adaptée à la vie dans les tunnels secondaires, non éclairés. Il était aussi apparent qu'elle avait été domestiquée et dressée par l'enfant, pour le servir aussi fidèlement. Sa langue fourchue claqua quand sa part fut finie, mais l'autre n'y prêta pas attention.

Il paraissait très jeune, mais était si malin qu'on eut pu en douter... C'était probablement un monstre comme il en naissait de temps en temps: sa tête énorme sur son corps frêle mais redoutablement agile laissait supposer, soit une hydrocéphalie à laquelle on avait du mal à croire qu'il eut pu survivre, soit un cerveau disproportionné, abritant peut-être un esprit supérieurement puissant; mais, là encore, il eut été légitime d'en douter, étant donné son état de misère. Nombre de paysans qui peuplaient cet immense domaine agricole et qui avaient déjà eu affaire à lui le considéraient comme une de ces images perdues, libérées lors de la Grande Guerre, plutôt que comme un être réel...

Il vivait depuis bientôt onze ans dans ce dédale de grottes et de tunnels à l'Est d'Eurar, exactement depuis la fin de la Guerre...

***

Herne le chasseur, lui, vivait dans cette région depuis bien plus longtemps, si longtemps qu'il avait eu le temps de mourir et que seul son écho continuait à hanter ces tunnels, prisonnier à jamais des derniers lieux de sa vie passée...

***

Le petit mutant, qui ne possédait rien, même pas de nom, s'endormit paisiblement dans sa cachette, rêvant de fêtes étincelantes, d'animaux fantastiques et de musique...

***

Dans un autre monde, inconnu mais légendaire, deux personnages, un homme et une femme sans âge, discutaient de part et d'autre d'une sorte d'échiquier à plusieurs plateaux. Leurs fronts nobles semblaient plutôt soucieux...
- "Dis-moi, Sven", interrogea la femme, "crois-tu qu'en ralentissant ses cycles de lecture/écriture..."
- "Non.", coupa catégoriquement l'homme, "ce n'est pas une solution élégante, ce n'est pas joli... Ce qu'il faut, c'est nous adapter, c'est tout..."
- "C'est tout? tu dis cela comme si c'était facile!..."
- "Oui, je sais, mais... Attends... Ah! Echec au prince bleu par l'évêque garance du plateau bas!"
- "Holà! Joli coup! Attends un peu!... Mais revenons à notre sujet, que tu sembles vouloir éviter..."
- "Veronika, si cela peut te rassurer, sache que je l'ai mis en attente, dans une boucle de Moebius, ce qui nous laisse le temps de trouver une solution."
- "Sage décision, digne d'un homme d'action comme toi; mais il vaudrait mieux ne pas trop tarder, au risque d'une dégradation irréversible, ce qui ne serait pas du goût de tout le monde."
- "D'autant que nous y avons tous beaucoup travaillé! Mais, ne t'inquiète pas, nous ne sommes pas si pressés!"
- "Tu as raison, Sven, mais... Tu n'aurais pas dû déplacer ce fou ainsi: voilà qu'une de tes reines est laissée sans défense!..."

***

Ce ne fut pas par le feulement du tigre, mais par le cri effrayé du petit animal -"Squaxx!"- que l'enfant fut soudainement réveillé. Dans un état de semi-endormissement, il aperçu son petit compagnon aux dents longues s'enfuir sans espoir de retour, tandis que l'apparition féline gigantesque s'approchait de lui...

Révait-il? Non, le rêve est une situation plus instable et plus riche. Etait-ce une image, ou un réel? Drôle de question de la part d'un être aussi misérable... Mais ce qui le forçait à se la poser, c'est que jamais, de toute son existence, il n'avait été mis en présence de celui qui venait d'apparaître devant lui. Sans savoir comment, il le savait. Le tigre se pencha et parla:
- "Leu..." C'était son nom. L'enfant sut que le tigre l'appelait par son nom, qu'il venait de lui donner son nom...

Leu... Dans son esprit encore embué de sommeil, l'image de ce nom, issu d'une langue morte et oubliée se fit jour, lentement, tandis que le tigre continuait:
- "Leu... Ecoute, Leu... Tes pensées sont encore chaotiques, éveille-toi... Je te commande: Prends Conscience! Tu Peux!"

Leu... Mais au fait, ne venait-il pas de se poser une question abstraite? Et à présent, n'était-il pas en train de réfléchir, d'enchaîner les raisonnements, de plus en plus vite? Le Pouvoir... Leu commençait à ressentir une force nouvelle en lui, tandis que les paroles de la majestueuse apparition s'écoulaient comme d'une source de résurrection...
- "Eveille-toi! Te revient le pouvoir de Définition! Organise tes impressions; décompose; compare; synthétise; prévois; Définis!"

Leu posa un regard azur, soudain lumineux, sur le tigre, et commença à parler, pour la première fois (vraiment?) de sa vie:
- "Je suis ton Prédateur!", cria-t'il sans reconnaître sa voix, tellement elle était devenue rocailleuse. Il ne se reconnaissait plus lui-même. D'une certaine manière, il venait de changer du tout au tout en un instant.
- "Oui, c'est ça..." continua le tigre, "le Prédateur! Tu peux construire les images, toi aussi!"
- "Les images? Je peux aussi les détruire!", hurla-t'il en s'élançant, mais ses mains ne rencontrèrent que le vide. Incrédulité. Pourquoi cette réaction? Il ressentit en lui comme une bifurcation de sa personnalité, dont le point de départ était la prise de conscience de lui-même et de son brusque changement. Comme si un autre venait de s'installer dans son esprit, le forçant à reprendre son activité apres une longue interruption. Comme si quelqu'un d'autre s'éveillait en lui, provoquant son propre réveil...

C'était un double éveil: de son sommeil, et de son inconscience... Mais il sentait autre chose encore. Quelque chose qui faisait en sorte d'échapper à ses tentatives de définition... Quelque chose qui lui échappait, à présent.

Le tigre avait disparu.

Mais Leu savait son nom, donc qui il était... N'est ce pas?... Il se rendait compte qu'il savait déduire, donc poser des questions... Donc, qu'il était doué de pensée.

Magnifique! utiliser une faculté nouvelle -l'intelligence- pour définir cette nouvelle faculté, et s'apercevoir avec émerveillement que l'on existe! Je pense, donc je suis... Ou alors, je suis, donc je pense... Bon, cessons là: je suis et je pense. Sortons de l'adolescence.

Mais en était-il sûr? Qu'était-il? QUI était-il? A présent qu'il pouvait regarder en arrière dans le temps, par le truchement de sa mémoire, il se rendait compte que ses souvenirs n'allaient pas plus loin que le jour de son premier éveil dans ces dedales, onze ans auparavant... Pourtant, il savait posséder des connaissances qu'il ne pouvait avoir acquises au cours de cette période... De plus, il avait la puissante intuition d'avoir vécu longtemps avant de se retrouver, errant, dans cette région... Mais sa mémoire ne lui fournissait pour tout appui à cette intuition qu'un abîme insondable.

Sans autre guide qu'un souvenir bizarre de ses années de vagabondage, il tourna ses pas en direction d'un point où il avait toujours eu des problèmes, et au delà duquel il n'avait jamais pu s'aventurer... Cette fois-ci, il savait comment il allait s'y prendre pour passer l'obstacle; et la pensée de ce qu'il allait faire le fit rire silencieusement... "Ce sera une bonne blague", pensa-t'il, "comme au bon vieux temps!".

Mais quel "bon vieux" temps, au juste?

***

Herne se dressa d'un bond, tous ses sens en éveil: son flair de chasseur venait de l'avertir qu'une proie potentielle s'apprêtait à sortir de la bouche de cette caverne, là, à droite. S'embusquant derrière un rocher poussièreux, il pointa son fusil et se mit à guetter...

Dans la lumière, ici aveuglante, c'est un vieillard horriblement décrépi, emmitouflé dans une ample parka de fourrure d'ours blanc qu'il vit sortir et se diriger droit dans sa direction en ricanant méchamment. Pris de panique devant cette horreur, Herne mit en joue en hurlant:
- "On ne passe pas! Halt oder Feuer!"
- "Hé hé!... Et non!", répondit l'image affolante, tout en continuant d'avancer sur le chasseur-gardien, en courant presque.

Herne tira. Le jet de flammes et de fer frappa de plein fouet la chose ricanante, déchiquetant ses chairs, broyant ses os; on eut dit une tornade de feu et de sang (et, mes amis, cela dégageait une abominable odeur de cochon grillé!)... Puis, plus rien. Rien de rien.

Mais alors ce qui s'appelle rien: pas de trace, là où n'aurait plus du se trouver qu'une mare de viande saignante en décomposition, mélée à des bouts de fourrure. Pas même des traces de pas, marquant le passage de l'horrible vieillard; ni même une légère odeur de brûlé. Rien que la poussière habituelle des passages entre cavernes.
- "Ca alors!", s'étonna Herne, "Je me suis fait rouler, ou quoi?"

***

A présent, il se trouvait sur un pic rocheux, juste à une dizaine de mètres au dessus de l'endroit duquel Herne venait de tirer...

Son ricanement interrompit le chasseur dans le cours de ses réflexions.
- "Hin Hin Hin!..."
- "Quoi? Qui a parlé?", lança ce dernier, visiblement pas très à son aise. Suspendu à un mince fil, Leu entreprit de descendre au niveau de Herne, pour lui retourner la question:
- "Tssk! Du calme, chasseur! Tout d'abord, qui es-tu, toi?"

L'interpelé ne repondit pas directement à la question, mais, ayant reconnu le jeune monstre, fendit son visage d'un large sourire sadique en disant:
- "Tiens tiens... Comme on se retrouve!... Je vois que, finalement, tu t'es décidé à revenir vers la sortie de ce dédale...". Puis, portant la main à son épaule, où il avait coutume de ranger son fusil en bandoulière, il ajouta:
- "Tu as l'air de vouloir aller plus loin, cette fois. Je ne peux donc plus attendre pour te faire la peau... Ca va charcler!".

Sa main rencontra son épaule, soit, mais pas le fusil en bandoulière qui eut dû s'y trouver.

En revanche, c'etait Leu qui semblait très intéressé par le mécanisme du fusil qu'il tenait dans ses mains, au grand étonnement du chasseur sur qui il était négligemment pointé.
- "Très intéressant!", remarqua-t'il, "On épaule, on vise, et puis..."
- "Heu... Je préfèrerais que tu me le rendes!", aboya Herne, partagé entre la crainte et la perplexité: comment son fusil avait-il pu arriver dans les bras de cet enfant-monstre presque nu?

A peine avait-il prononcé ces mots que son fusil se retrouva sur son épaule, à sa place habituelle, comme s'il ne l'avait jamais quittée.
- "Ah non!", protesta-t'il d'un ton indigné, "C'est la deuxième fois qu'on me fait le coup de la disparition! C'est toi, hein?"
- "Peut-être!", répondit Leu, visiblement de plus en plus amusé de la situation, et savourant d'évidence les multiples plaisanteries dont il gratifiait à présent cet homme qui l'avait si souvent pris pour cible.
- "Tu es devenu malin, depuis la dernière fois que nous nous sommes vus, dis-moi!", avança Herne, en bon chasseur qui connaissait son gibier, "Voila qui promet pour la suite!". Il pressentait une bonne partie de course-poursuite, qui trancherait avec le train-train habituel...
- "Si suite il y a, car je n'ai nullement l'intention de rester dans cet endroit plus longtemps!"
- "Fort bien! Mais sache qu'au moment ou tu t'y attendras le moins, je saurai te prendre par surprise... Quelle chasse en perspective!". Cette fois, bien-sûr, il faudrait viser juste: pas question d'effrayer cet animal pour le faire revenir en arrière, d'après ce qu'il venait de dire... "Dommage!", regretta-t-il en lui-même, "J'aimais bien le voir s'enfuir... mais le boulot, c'est le boulot!"

Sur ce, Herne disparu.

En disparaissant, il avait laissé le champ libre à Leu, qui put continuer sa progression vers l'Ouest...

***

La première chose que découvrit l'enfant, au delà de ce tunnel qu'il n'avait jamais pu dépasser, fut un réservoir d'eau plus immense que le plus grand lac qui lui avait jamais été donné d'apercevoir, taillé dans le roc: un bassin parfaitement circulaire, d'une bonnne dizaine de kilomètres de diamètre, à l'eau plus claire et plus limpide que la meilleure eau de toute la zone agricole. Ce réservoir devait être soigneusement gardé et entretenu, étant donné qu'aucune végétation, pas même une humble trace de mousse, ne poussait, ni autour, ni à l'intérieur. L'éclairage devait en être en partie responsable: très riche en ultraviolets durs, il fut vite la cause de brûlures de moyenne gravité sur la peau de Leu, ce qui l'amena à se mettre à l'abri à l'ombre du pourtour de la caverne, qu'il suivit sans attendre, et sans avoir l'occasion de sonder la profondeur du bassin.

Il resta quelques jours dans ce coin à la température agréable, tout en observant l'intérieur de la grotte...

Tout d'abord, il remarqua, de loin en loin, la présence constante d'équipes de dizaines d'ouvriers, portant visière et tenue filtrante, occupés à nettoyer très consciencieusement les abords du réservoir. Régulièrement, des véhicules à coussin d'air amenaient des remplaçants pour les relever partiellement, au tiers, et repartaient avec ceux qui étaient au travail depuis le plus de temps. Une rotation complète des effectifs prenait une journee, c'est à dire le temps pour que la température, qui variait toujours de façon infime, mais cyclique, revienne à la même valeur.

Les préposés à l'entretien ne semblaient pas s'intéresser à autre chose qu'à leur travail ou à leurs discussions, mais Leu préféra rester sur ses gardes et ne pas se faire remarquer... Grand bien lui fit, car il s'aperçut bientôt que d'autres équipes, de chasseurs celles-là, patrouillaient en permanence, à l'abri des regards; derrière les nombreux blocs rocheux qui parsemaient les berges du lac. Il en remarqua une quand un rat, qui avait, probablement par miracle, passé le barrage d'un gardien de tunnel, en amont, fut pris en chasse par une escouade de barbus armés jusqu'aux dents, hurlant de plaisir en courant derrière cette pauvre petite bête...

Cette immense étendue d'eau potable, jalousement gardée et maniaquement entretenue, était alimentée par trois énormes pipelines, venant des regions froides et dépeuplées du Nord. Une station de pompage ronronnait, entretenant sans arrêt un débit très important dans un complexe ensemble de conduites d'eau potable, qui partaient en descente vers l'Ouest. Plusieurs tunnels semblaient conduire dans cette direction; entre autres, ceux empruntés par les vehicules de transport de personnel. Leu décida de continuer par là, en employant les souterrains secondaires, peu fréquentés.

***

Herne ôta ses jumelles et découvrit ses dents jaunies d'un large sourire triste: "Ainsi, mon si malin gibier cherche à atteindre Eurar... Dommage pour lui; il va devoir y passer... Le réglement, c'est le réglement! Laissons-le espérer un peu, et puis..."

Il remit ses affaires dans sa besace, enterra avec soin les quelques déchets qu'il avait accumulés pendant ces derniers jours, et se mit en route, dans la trace de Leu, sans prêter attention à la pâleur croissante de son corps, qui semblait perdre un peu de sa consistance à chaque pas...

***

Après plusieurs semaines d'un périple aventureux à travers un labyrinthe de cavernes abritant forêts et friches entremélées, parcourues sans relâche par des patrouilles de surveillance de plus en plus rapprochées, Leu parvint au bord d'une immense falaise, ou plutôt d'un mur, du haut duquel il pouvait admirer le spectacle fantastique qu'il découvrait...

Une ville.

Toujours sous le ciel de pierre, dans une salle unique gigantesque, à perte de vue, jusque derrière l'horizon, s'étendait une mosaïque de constructions hétéroclites, de temples, de vieux immeubles, un enchevêtrement de rues, d'escaliers, d'impasses...

De toutes parts, montait le bourdonnement d'une activité humaine incohérente, désespérée dans ce monde clos; le bruit de la foule se mélait à celui du vent qui jouait entre les hauts monuments que Leu apercevait sur une lointaine colline...

Il faisait ici bien plus chaud qu'ailleurs, et l'air était vicié, malgré son constant renouvellement par des centrales de purification qui dressaient leurs tuyaux d'orgues de place en place.

Bien qu'il n'ait jamais été jusque là, aussi loin que remontent ses souvenirs, Leu n'était pas impressionné, et tout ceci lui était étrangement familier... Il savait où il était, il savait quelle était cette ville.

Il reconnaissait Eurar.

Et, dans cette ville, il le savait, se trouvait, quelque part, la clé de son passé.

A suivre...