Le roi

Magen et Alexia furent aussi surpris que Xris, si surpris que sa visite passa au second plan de leurs préoccupations, derrière ce qu'impliquait le mot qu'il venait de prononcer. Tous trois restèrent comme figés de surprise pendant un moment d'imposant silence... Puis Leurs regards se posèrent à nouveau sur le corps étendu. Ce fut Magen qui rompit ce silence:
- "Leu?..."
- "Le roi Leu?...", continua Alexia, avant que Xris ne reprenne, comme si il n'avait pas entendu:
- "Oui... Sans aucun doute... C'est bien lui, c'est mon seigneur, disparu il y a onze ans dans la cité maudite... Mais comment... Où, quand l'avez-vous retrouvé?"

Xris parlait maintenant à toute vitesse, sans laisser le temps aux deux autres de placer un mot, il était visiblement surexcité par cette découverte:
- "Que fait-il ici, et encore dans cet état? Je ne sens plus sa force avec la même intensité qu'autrefois, mais..."

Il étendit la main dans la direction de Leu, les doigts écartés, comme pour palper quelque chose, dans l'air ambiant... Puis il reprit:
- "L'évidence est là: sa lumière, bien qu'affaiblie, est présente... Personne ne pourrait présenter les mêmes caractères... C'est lui."

***

Dans le monde légendaire, la réunion des maîtres battait son plein: guidés par les fluctuations du réseau universel, Sven, Veronika, Lukas et Gwendoline avaient progressé de plusieurs centaines de milliards de niveaux dans l'écheveau événementiel de leur bulle d'espace-temps, quand un microscopique point rouge fit son apparition dans la lumière bleue émise par le tétraèdre se trouvant dans la pièce...
- "Le premier cas indécidable!", pensèrent-ils aussitôt, tout en continuant à voyager vers l'horizon, à une vitesse exponentiellement accrue.

Sans laisser le loisir à ses trois pairs de désespérer, Lukas annonça:
- "La limite de continuité est proche! Courage!"

Des pensées émises à une cadence incroyable, pour ne pas géner leur travail. Mais, inexorablement, avec la même rapidité que leur cheminement, le point rouge devenait tache, qui grandissait; et la zone d'incertitude gagnait, tendant irrésistiblement à couvrir la totalité de l'ensemble des situations à considérer...

***

Edmond Durand, le pilote, était pour le moment inconscient, allongé dans l'infirmerie du porte-avions...
-"Quand pensez-vous que nous pourrons le récupérer?", demanda le général H.J. Hermann au médecin de service; "C'est que cette tête de mule a des choses à nous dire, vous comprenez... Notamment ce qu'il a vu là-bas et ce qui l'a mis dans cet état!"
-"Général, pour être franc avec vous, je dois vous dire que ce pilote est gravement choqué, et qu'il en a pour un moment avant d'être remis de ses émotions: vous n'ètes pas près de le voir..."
-"Comment ça, pas près de le voir?", éclata Hermann, "Vous n'avez pas l'air de vous rendre compte que cet énergumène est la seule personne au monde à avoir aperçu ce que nous commençons à considérer comme une menace, et qu'il a catégoriquement refusé -contrairement à mes propres ordres!- de décrire ce dont il a été témoin! Vous allez me le réveiller, et plus vite que ça!"
-"Général, vous ètes ici dans le domaine des médecins", rappela son interlocuteur, "Vous n'ètes pas en mesure de me dicter ce que je dois faire. Pour l'heure, et pour plusieurs jours sans doute, ce patient doit rester en repos complet!"
-"Ah oui?", reprit le général d'un ton menaçant, "Nous n'avons peut-être pas le temps d'attendre que ce soldat soit sorti des vapeurs! En conséquence de quoi, si vous refusez de le réveiller, nous l'interrogerons à la sonde psychique!"

Ce n'était pas une menace en l'air. Un général peut ordonner la procédure de sondage mental, et ce en dépit des contre-indications médicales. le médecin le savait fort bien, mais d'un autre côté...
-"Général, pensez-vous que si je le réveille, il sera plus en état de répondre à vos questions que dans son hélicoptère, avant d'atterrir? Ne croyez-vous pas qu'il refusera avec la même énergie qu'il l'a fait tout-à-l'heure?"
-"Vous croyez?", railla le général, "Fort bien: je reviens dans un instant! En attendant, rasez le crâne du... Patient!"

Sans attendre de réponse, il tourna les talons et sortit de l'infirmerie.

***

Alexia était intriguée par le comportement de Xris, qu'elle n'avait jamais vu auparavant, et c'est d'une voix timide qu'elle demanda, quand ce dernier fut à peu près calmé:
-"Xris, vous parlez de Leu comme d'un seigneur, et vous semblez posséder un don semblable au mien, puisque vous percevez cette trace d'esprit qui émane de lui. Je suis apparue avec mes deux soeurs il y a onze ans, et je ne sais pas grand-chose de lui..."

Le forestier interrompit les bredouillements de la jeune fée par un geste apaisant, puis sembla reprendre conscience de l'endroit où il se trouvait... Se tournant vers le docteur:
-"Magen, mon vieil ami, avant que je ne raconte à...", il s'aperçut qu'il ne connaissait pas son nom...
-"Alexia!", compléta la jeune fille avec empressement,
-"Merci... A Alexia, donc, ce qu'elle désire savoir; je voudrais que tu m'expliques comment mon maître, qui est mort dans les conditions que l'on sait, se retrouve ici et maintenant!"
-"Ah! Et bien... Sache que, juste avant ton arrivée, nous igniorions totalement à qui nous avions affaire: Alexia et ses deux soeurs l'ont trouvé au bord de la rivière qui coule depuis les égouts d'Eurar, à demi mort... Et je venais juste de découvrir qu'il a été décérébré, à peu près à l'époque de sa disparition, maintenant que j'y pense... Mais, plus surprenant encore, une accumulation de détails étranges m'amène à penser que son corps à continué de fonctionner correctement pendant tout ce temps!"
-"Décérébré? Ca alors!...". Xris prit un air songeur, et Alexia décela chez lui une intense activité mentale. Elle cessa de le contempler quand elle prit conscience de son regard désapprobateur, posé sur elle:
-"Il faudrait que vous sachiez vous retenir d'examiner mon esprit; je ne trouve pas cela très agréable... Nous n'avons ni vous, ni moi, le pouvoir de lire dans les pensées, mais j'aimerais avoir un peu d'intimité, quand je réfléchis!"
-"Oh, excusez-moi! Je ne pensais pas me montrer impolie!". Elle fit un large sourire pour masquer sa gène: pour la première fois de sa vie, elle se trouvait en face d'un être possédant un pouvoir analogue au sien - peut-être même supérieur, pensa-t-elle...

***

Eurar...

Un endroit inconnu de la grande majorité des citoyens...

La salle du conseil des administrateurs, appelé couramment le "conseil des treize", pour une raison historique: à l'origine, treize était le nombre considéré comme idéal par les administrateurs pour diriger les différents services urbains. De nos jours, avec l'accroissement démentiel de la population, et l'extension des territoires à gouverner, le nombre nécessaire de dirigeants était plus proche de la centaine...

Les administrateurs -c'était le titre qu'ils se donnaient entre eux, le nom de "despotes", venant de quelques agitateurs- avaient pour tâche écrasante de permettre à une agglomération de près d'un milliard d'âmes (et bien plus si l'on considérait les terres non proprement intégrées à la ville) de continuer à vivre... De survivre serait un terme plus adéquat...

Pour la plupart, ils n'avaient pas choisi ce métier; l'exercice du pouvoir étant une activité si contraignante que personne, mis à part quelques illuminés, n'avait le désir d'intégrer les hautes sphères de l'administration. Chacun avait en effet subit, au début de son mandat, un traitement spécial qui supprimait tout besoin de sommeil... La contrepartie était l'interdiction de la plus petite pose dans le travail; et c'est ainsi que sans arrêt, l'administrateur était astreint à faire face à des responsabilités écrasantes...

Peu nombreux étaient ceux qui passaient le cap de la première année de métier sans finir dans un hôpital, un asile de fous ou dans la tombe, et pour ceux qui supportaient ce rythme implacable, la récompense -bien amère- était un temps de vie artificiellement prolongé par les prouesses de la médecine, et le Pouvoir.

Le Pouvoir de veiller à la destinée de milliards de vies. Le pouvoir de réprimer dans l'oeuf toute menace de rébellion contre cet ordre -le seul possible-; ainsi, une partie de la centaine de gouverneurs d'Eurar avait pour mission de supprimer toute trace d'opposition, gràce à l'aide d'une police aussi forte qu'omniprésente.

Une police qui, d'ailleurs, n'avait pas pour seule fonction d'assurer la tranquillité de la ville: quand le besoin s'en faisait sentir, une partie des territoires frontaliers était annexée à la cité tentaculaire, ce qui n'allait pas sans heurts... Les populations locales n'étant pas toujours désireuses de passer sous la coupe eurarienne, les heurts allaient parfois jusqu'aux affrontements, et même, très rarement, jusqu'à la guerre, comme cela avait été le cas onze ans auparavant, avec l'ex-royaume du magicien Leu...

***

Johannes Talak était le double de Edmond Durand; ceci signifie que son mental était très proche de celui du pilote d'hélicoptère, suffisamment proche pour qu'il puisse servir de récepteur dans la procédure de sondage mental qui allait débuter d'un instant à l'autre...

La sonde psychique était un appareil permettant de capter l'influx nerveux d'une part, et de le transmettre à un "réceptif" d'autre part, qui, avec l'aide d'instruments forts compliqués, mais surtout de ses affinités mentales, pouvait -à grand peine soit, mais assez efficacement- interpréter les pensées de la personne sondée. Afin d'orienter les pensées du sondé dans la direction souhaitée, un dispositif d'asservissement faisait -en beaucoup plus puissant- le travail inverse: le "récepteur" pouvait imposer une direction à la victime du sondage... Ce qui n'allait pas sans dommages très graves, ce qui explique que cette procédure n'était utilisée qu'en dernier recours, et en cas d'extrême urgence, ce qui était le cas.
-"Vous ètes prêt, mon garçon?", interrogea le général une dernière fois, tandis que les opérateurs mettaient les multiples instruments de mesure et d'enregistrement en marche...
-"On peut y aller!", répondit Johannes, la gorge sèche: Edmond et lui avaient été camarades depuis l'enfance, partageant les mêmes jeux, les mêmes intérêts, la même passion pour l'étude historique, et, en particulier, se souvenait-il avec nostalgie, pour les annèes soixante-dix de la fin du vingtième siècle... Et à présent, Edmond était inconscient, sous le choc d'une découverte dont il avait refusé de parler; il allait falloir lui arracher la vérité, au prix de sa santé mentale, de sa vie, peut-être...

Une main ferma un relais, et la sonde psychique se mit à transmettre les données... Ce que devait faire Johannes: décrire à haute voix toutes les sensations qui passeraient dans son esprit, tout en cherchant à faire revivre à celui d'Edmond la reconnaissance aérienne au dessus de l'ile...
-"Je ne me sens pas très bien... Attendez: oui... Je viens de me réveiller... Non, on vient de me réveiller en sursaut, et c'est très désagréable: j'ai la langue pâteuse, et la tête lourde... La gueule de bois: souvenir de la soirée d'hier soir... Non: de tout-à-l'heure, puisqu'il n'est que trois heures du matin à ma montre...
-"Au fait, au fait!", s'énerva H.J. Hermann, impatient.
-"D'accord... Il est plus tard; c'est le début de l'après-midi... Altitude: trente mètres, vitesse: neuf cent soixante kilomètres heure... Je suis aux commandes de mon appareil, on m'a réveillé ce matin en pleines vacances pour m'envoyer en reconnaissance, tout seul, vers une île mystérieuse dans le pacifique... Quelle poisse! J'étais bien mieux dans mon lit!..."
-"Talak! Un peu de nerf!", tempétait l'officier, "imposez à l'esprit tordu de ce vaurien de se remémorer le survol de cette ile!"
-"Bien, général!", répondit Johannes, comme réveillé en sursaut. "Voilà! Mais qu'est-ce que c'est difficile!... Je n'arrive pas à avoir de perception nette, il y a comme un voile qui empèche mes sens de fonctionner correctement!"
-"C'est le premier passage?"
-"Oui. Les liaisons radio sont rompues... Peur, angoisse terrible: rien ne semble réel, je suis comme dans du coton, j'ai l'impression d'avoir la fièvre..."
-"Nous sommes au courant pour le premier passage! C'est au second qu'il s'est passé quelque chose! Remémorez-le vous!"
-"Façon de parler, général!... Aie! Que s'est-il passé? J'ai eu l'impression qu'on me transperçait le crâne!... Ouf! C'est passé!... Ah! Revoici les falaises de granit!... Les liaisons radio sont de nouveau coupées!... De nouveau angoisse, peur... Je survole une vaste étendue floue, floue! Impossible de distinguer le moindre détail: c'est comme un cauchemar, c'est même pire!... C'est un peu comme un accès de conjonctivite, mais limité à cette ile!... Je distingue pourtant nettement les frontières de ce domaine d'irréalité: les hautes falaises, et cette plage de sable fin, dont les caméras télescopiques du bord renvoient l'image rapprochée..."
-"Talak! Il s'est passé quelque chose, et nous voulons savoir quoi!"
-"Mais oui, général! J'y arrive! Le radar indique que quelque chose vient d'apparaitre sur la plage: dimensions de l'ordre du mètre, et c'est en mouvement! Je me dirige prudemment vers la plage, puisque la zone de flou est fondamentalement inobservable... La caméra-sol me montre... Douleur! Aaah!!!"

Ce dernier cri sortit simultanément de deux gorges: celle de Johannes Talak, et celle de Edmond Durand, soudainement réveillé et dressé sur son séant. Les deux officiers étaient aussi terrifiés l'un que l'autre, et c'est les yeux exorbités que le premier termina son commentaire, en criant, comme pour dominer un tumulte intérieur: "Je vois... Je vois... C'est horrible! Malheur sur nous! Je vois John Lennon sur cette maudite plage! Et... Aaah!!!"
-"Qui ça? Expliquez-vous!", exigea le général Hermann, mais il n'eut pas le temps d'insister: le médecin de service eu juste le temps de l'attraper pour se jeter avec lui hors de la petite infirmerie, avant qu'une double explosion ne dévaste la pièce, emportant les deux pilotes dans la mort...

***

Tandis que les pompiers éteignaient les derniers foyers de l'incendie qui venait de ravager toute une partie du bâtiment, H.J. Hermann tempêtait, contre lui-même de ne pas avoir pu poursuivre l'investigation, et contre les chimistes en général pour avoir mis au point le terrible poison-flamme...

***

-"La première fois que j'ai rencontré Leu, c'était dans son domaine, aux frontières d'Eurar...", commença Xris, "Il était, comme à présent, semblable à un enfant, non seulement physiquement, mais aussi dans sa manière d'être: aimant faire des farces à tout venant, par exemple..."

Comme Xris s'interrompait, songeur, le sourire aux lèvres, Alexia demanda:
-"On m'a aussi raconté qu'il savait créer les images..."
-"Oui, bien sûr: alors qu'habituellement, les irréels apparaissent de manière aléatoire, sans que personne puisse avoir le moindre contrôle sur eux, dans le domaine de Leu, j'étais frappé par le nombre d'images, ainsi que par leur unité d'esprit: presque toute la population était imaginaire et semblait fidèle à son souverain..."
-"Attendez, Xris, avant de continuer", le coupa Alexia, "comment savez-vous que la majorité des êtres était irréelle? Avez-vous un moyen de reconnaître un réel d'un imaginaire?"
-"Un moyen? Il vaudrait mieux, de nos jours! Bien entendu: par exemple, vous, Alexia, vous ètes une image, et je peux même ajouter que vous ètes une création de Leu lui-même! Vous ètes une image, parce que votre tonalité d'esprit est exempte de toute impureté, et vous avez été créee par Leu, parcequ'il y a cette étrange lueur au fond de vos yeux."
-"On nous avait souvent dit que nous étions probablement les filles du grand roi...", partit réveusement la jeune fille, se tournant vers celui qui n'était plus qu'un vagabond agonisant... "Mais maintenant, je sais que c'est vrai, et je comprends pourquoi nous nous sentions si proches de lui, même sans savoir qui il était...". S'adressant de nouveau à Xris: "S'il vous plaît, dites m'en plus! Comment a-t'il vécu, avant de..."
-"Avant de mourir, il faut le dire, car il est mort il y a onze ans!", trancha Xris, "Oui, il est mort, lors de la guerre qui opposa son royaume à l'empire d'Eurar... On vous a sans doute raconté les combats gigantesques qui opposaient les créatures guerrières de Leu aux milices eurariennes de chasseurs, les attaques et contre-attaques spectaculaires, et la grande offensive finale, qui fit cent millions de morts et dispersa les images aux quatre coins du Monde, avant que Leu ne soit fait prisonnier et ne soit torturé!"

Le forestier parlait avec flamme, oubliant l'assistance: tout ce qu'il racontait, il l'avait vécu; "Pendant des jours, nous n'eûmes aucune nouvelle... Déguisé en mendiant, je parcourais les rues à la recherche de l'endroit où il pouvait être détenu, et ce n'est que lorsqu'un cri inhumain paralysa la ville de terreur que je pus le localiser: le dernier cri de douleur de Leu avait provoqué une explosion d'images -la plupart evanescentes- comme on n'en avait jamais vues: la population a dû doubler ou tripler, ce jour-là!..."

Xris baissa la tête... Quand il la releva, des larmes coulaient sur son visage, et sa voix était altérée par le chagrin: "Je l'ai revu, attaché à un pilori comme un criminel, le regard vide... Il était tel qu'aujourd'hui, et je ne pouvais lui venir en aide!... Durant des semaines, il est resté ainsi, exposé à la vindicte publique; un écriteau empéchait les gens de trop s'approcher: il signalait que les bactéries les plus mortelles, les maladies les plus virulentes avaient été inoculées au <roi traître> et qu'il était condamné à mourir ainsi!... La suite, vous la connaissez..."
-"Oui, c'est maintenant dans les livres d'histoire", répondit Alexia, "le jour de sa mort, un immense dragon venu du néant emporta Leu dans les airs, vers des terres inconnues à l'Est d'Eurar."
-"Et le voici aujourd'hui", ajouta magen, "de nouveau en train de mourir."

On frappa à la porte. Alexia alla ouvrir à ses deux soeurs, et les accompagna auprès du lit où leur créateur se mourait sans bruit et dans l'inconscience...

On frappa trois coups secs à la porte, et sans attendre, une jeune infirmière entra; elle avait l'air très préoccupée. Elle s'adressa à Magen:
-"Docteur, excusez-moi de vous déranger en plein travail, mais savez-vous si un certain <source-loup> est dans l'hôpital?"
-"Malade, médecin ou visiteur?", fut la question automatiquement posée par le docteur, mais Xris s'était relevé subitement à l'énoncé de ce nom et lui coupa la parole, pour demander avec empressement:
-"Qui vous a demandé cela, mademoiselle?"
-"Je ne sais pas; c'est un vieux loup blanc qui n'a pas voulu me dire son nom.", répondit sincèrement l'infirmière, "Il est juste derrière la porte, accompagné d'autres loups."

Ladite porte s'ouvrit plus largement, laissant pénétrer dans la pièce une meute d'une dizaine de loups, qui s'empressèrent d'entourer le lit où se trouvait Leu... Le plus vieux était apparemment -détail étrange- le chef. C'est lui qui "parla" le premier (en fait, ces êtres ne pouvaient parler, mais communiquaient par télépathie, en suscitant chez leur interlocuteur une série de concepts que celui-ci pouvait interpréter comme une sorte de phrase). S'adressant à Xris:
-"Ami, salut! Longtemps cela fait... Souvenir/nostalgie je/nous gardons... heureux je/nous sommes...". Désignant le personnage allongé: "Source-loup vivant question/être?"...
-"Je ne sais pas...", murmura l'être humain.

Le vieux chef se tourna alors vers le docteur et le fixa de ses yeux gris et éclatants. Magen se sentit alors comme exposé sur une planche anatomique, il eut la breve sensation d'être soupesé, désossé, examiné de fond en comble, transpercé par le regard du nouveau-venu. Il ressenti une brève bouffée de claustrophobie, tandis que le loup s'emparait des contrôles de son cerveau pour y lire tout ce dont il avait besoin, puis la sensation cessa ausi brusquement qu'elle avait commencé; le loup blanc "parla":
-"Docteur... Seigneur docteur... Pour l'intrusion pardon. Source-loup vous avez retrouvé. Mais Source-loup connexe (ne plus)/être... Vie affaiblie... Non mort/non vie... Source-loup mourir ne/peut, vivre doit! L'emporter je/nous devons."

Le coeur des humains présents fut soudain empli d'espoir: ce que la médecine ne pouvait faire, le pouvoir des êtres les plus intelligents qu'ils connaissaient en était probablement capable... Magen et Xris aidèrent deux des bêtes à s'atteler à un brancard et y déposèrent le corps de Leu, la meute allait prendre congé. Le vieux loup blanc se tourna vers Alexia, qui n'avait pourtant rien dit:
-"Oui: je/nous suivre tu peux. Dans la forêt je/nous allons.". Un dernier regard à Xris: "Ce que faire tu dois, tu sais."

Ce dernier eu la vision fugitive de tours brûlant dans la pénombre, et il crut bien que son coeur allait cesser de battre quand son puissant allié ajouta: "Au coeur ils ont frappé... Au coeur je/nous frapperons."

Les loups s'en allèrent calmement, accompagnés des trois images soeurs. Magen, le forestier et l'infirmière restèrent seuls dans la petite pièce.
-"Pardonnez-moi, mais que s'est-il passé, s'il vous plait?", demanda cette dernière aux deux premiers, l'air vraiment soucieuse.
-"Ne vous inquiétez pas, mademoiselle, ces gens vont juste tenter de sauver le patient qui était ici et qui était, de toute façon, condamné.", lui répondit Magen en se voulant rassurant, puis, une fois qu'elle eut quitté la chambre, d'un ton pas rassuré du tout: "Dis-moi, Xris, que comptent-ils faire?"
-"Magen, mon vieil ami... Je dois partir."
-"Est-ce que tu vas les rejoindre?"
-"Oui. Mais avant, je dois retourner dans les montagnes. Leu aura besoin d'un certain objet quand il sera de nouveau en vie... De grandes choses se préparent, et il faudra que j'y prenne part..."
-"La guerre?"
-"Non..."

Xris se dirigea vers la sortie; avant de laisser Magen, il se retourna une dernière fois et termina sa phrase: "Pire.".

A suivre...