Le grand arbre |
Le milicien, épuisé par le combat incessant qu'il menait contre les rejetons de l'arbre, vit avec soulagement le détachement de pompiers promis par le conseiller Mivi les rejoindre. Leurs uniformes, reconnaissables de loin, étaient de couleur rouge garance, et ils portaient des casques argentés. Nul ne savait pourquoi ils portaient des tenues aussi ridicules, mais personne n'avait jamais osé proposé d'en changer : d'une part, l'habit des pompiers était une tradition ancestrale, et d'autre part, personne n'osait jamais ouvertement se moquer des terribles Pompiers du Feu. Plus fiers que ceux-là, il n'y avait en effet que la brigade des Médecins Euthanasistes, redoutée jusqu'aux confins d'Eurar pour sa cruauté. -"Ah, enfin !", fut tout ce qu'il parvint à articuler, les paupières collées par la sueur, en accueillant l'équipe. Aussitôt, trois des hommes ouvrirent leurs sacs à dos pour en extraire les pièces d'une machine qu'ils assemblèrent promptement, avec l'aisance de l'habitude, tandis que quatre autres se déchargeaient du gros réservoir qu'ils transportaient et le déposaient à terre, non loin des premiers. En moins d'une minute, la machine des pompiers était prête : une lance articulée reliée au réservoir, pointée sur l'arbre menaçant, portée par trois hommes qui n'attendaient qu'un signal du chef de groupe pour agir. A quoi reconnaître le chef d'un détachement des Pompiers du Feu ? En général, à ses moustaches. En effet, c'est le seul qui ne soit jamais -ou si peu- en contact direct avec le feu, et donc le seul dont les moustaches aient le temps de pousser. Celui-ci s'adressa, d'un ton autoritaire comme il se doit, à ses hommes : -"Détachement... Prêts à faire feu ?" Avant que les pompiers aient pu répondre, la voix rocailleuse de l'arbre retentit, terrible : -"Ah ah ah ! Les pompiers ! il ne manquait plus que vous ! Bienvenue, je vous attendais !... Et bien... Que la fête commence !"
-"Pourquoi, comment ? Je ne comprends pas ! Vous avez bien dit : <<mettre fin à mon activité>>, c'est bien cela ?", bredouilla Xris, complètement perdu. -"Je n'ai pas dit", reprit la Centrale, "j'ai directement injecté le message dans votre esprit. Et oui, J'ai besoin de vous pour mettre fin à mon activité. Vous vous demandez pourquoi j'ai besoin d'un extérieur et pourquoi je ne peux pas tout simplement le faire moi-même, mais regardez autour de vous une fois encore..." Le musicien se sentait quelque peu dépassé, et balaya une nouvelle fois du regard le poste de contrôle vers lequel il avait été guidé, mais ne comprenait pas où l'être mécanique voulait en venir... La vénérable machine laissa son esprit décanter, et continua de sa voix sans âge : -"Je vous ai dit précédemment que je n'avais aucun contrôle sur les systèmes automatiques de production ou de surveillance. Mais cela s'applique également à tous les autres appareillages non intelligents. En somme, je ne suis qu'un cerveau. Pire : je ne suis qu'un cortex, et je n'ai absolument aucun moyen d'action physique directe, et je m'ennuie, si on peut dire, à mourir... Et l'Autre aussi s'ennuie." -"Pardon ? Quel Autre ? Je n'ai pas saisi ce que vous avez tenté d'imprimer dans mon esprit, en même temps que la sensation de percevoir le son !" -"L'Autre est un autre esprit, avec lequel je suis entrée en contact il y a plusieurs siècles, et qui se situe quelque part hors de ce monde. Il me semble qu'il est lui aussi immobile, mais j'ai senti lors de nos conversations que ce n'était peut-être pas tout-à-fait la réalité, et qu'au contraire il pourrait bien s'en aller un jour, et..." Xris eut une pensée pour Alexia, sans le vouloir... -"Oui", sembla confirmer la Centrale, "c'est bien cela, il me semble, comme pour vous et elle... Le Sentiment et..."
-"Alexia, nous devons partir." C'était la voix d'Eliza, mais plus son visage d'autrefois. Elle n'était plus aveugle, pas plus qu'Elvira, son autre soeur, et les trois sorcières venaient d'achever la transformation de leur apparence : à présent, les trois femmes étaient d'une pâleur extrême, et leurs regards brillaient d'une sombre, d'une inquiétante lueur. Alexia, qui était demeurée pensive, regardant le lointain portail de la Centrale, par lequel son bien-aimé avait disparu, se retourna vers sa soeur. -"Eliza, Vous devriez y aller sans moi ; j'aimerais attendre ici le retour de Xris." -"C'est impossible, tu le sais. Nous sommes trois, pas deux." -"Mais nous savons aussi nous séparer, provisoirement. Nous l'avons déjà fait, parfois, dans le passé." C'est Elvira qui répondit : -"Alexia, écoute, tu le sens autant que nous. Nous avons changé. Tu as changé aussi bien que nous. Tu n'es plus celle que tu étais il y a une heure, et l'homme qui aimait celle que tu étais ne te reconnaîtra pas à son retour." -"Comment, ça !", bredouilla Alexia, d'un ton indigné, mais faiblissant, "Xris n'est pas amoureux de mon apparence, il verra au delà de la couleur de ma peau et de mon regard... Partez, partez sans moi. Je veux l'attendre." -"Tu te mens à toi-même. Et tu le sais. Bien plus que notre apparence, c'est notre être qui change. Nous sommes devenues plus dures, et chaque instant qui passe voit notre identité se rapprocher de Leu, nous ne pouvons y échapper, et tu le sais." -"Je peux encore dire <<Je>>, je suis encore un être à part entière, pas une simple image reflétant le monde intérieur de Leu ! Je suis aimée d'un être réel, distinct de l'arborescence des images de Leu. Cela me rend différente. Je ne veux pas partir, je veux rester et attendre son retour ! Laissez-moi, à la fin !", repliqua-t-elle sêchement, sans pouvoir cacher les larmes qui innondaient ses yeux noirs. Eliza repartit à la charge : -"Alexia, tu sais que nous devons partir. Oublie cet humain, laisse-le garder de toi le souvenir de celle que tu étais et que tu n'es plus. Tu es nous comme nous sommes toi ; et nous devons rejoindre Leu. Vengeance arrive pour nous prendre..." Au loin, en effet, venant de la direction de la lointaine Eurar, la louve, qui était devenue gigantesque, accourait à leur rencontre. -"Viens, il est temps d'accomplir notre destin.", souffla Eliza. Alexia se tourna une dernière fois dans la direction de la Centrale, tentant en vain d'apercevoir la lueur de l'esprit de celui qui l'aurait tant aimée. Elle pleurait sans honte et sans retenue.
Tout se passa comme au ralenti. La demi-sphère noire avait disparu la microseconde précédente. Prenant naissance sur l'un des points d'impact des précédents missiles, une boule de lumière aveuglante, mêlée d'un bombardement gamma mortel, accompagnée d'une vague de chaleur d'une insoutenable intensité, enfla jusqu'à engloutir totalement l'île et ses environs. Une onde de surpression gigantesque propagea son souffle terrifiant sur des centaines de kilomètres, faisant naître des vagues qu'aucun marin n'avait vu dans nulle tempête jusqu'ici. L'onde de choc devait faire trois fois le tour de la Terre, avant de disparaître. Simultanément, une partie des caméras de surveillance transportées par les aéronefs de l'Armée tombèrent en panne, n'étant pas conçues pour supporter un tel niveau de radiations. Les écrans correspondants des centres de contrôle à distance s'éteignirent instantanément. Les hélicoptères les plus proches du point d'impact furent, soient balayés par le choc, soit grillés sur place, quand leurs pilotes n'étaient pas tués ou aveuglés sur le coup. Le vide créé par le souffle de l'explosion ne fut que temporaire, et quelques instant plus tard, la différence de pression avec l'air alentour provoqua le choc en retour, et l'onde de dépression qui s'ensuivit acheva les ravages qu'avait commencés la première vague. Dans le même temps, emportée par son effroyable énergie, la boule incandescente s'éleva dans l'atmosphère, telle un nouveau soleil, dissipant toute trace de nuages au fur et à mesure de son ascension. Des retombées mortelles pleuvaient sur toute la région de l'île. Jamais on n'avait vu pareil champignon nucléaire, car aucun missile n'avait jamais été doté d'une telle puissance de feu. Dans la salle de commandes de son porte-avion, suffisamment loin de là, bien que malmené par les flots déchaînés, l'amiral Ug Andar, justifiant son surnom d'"homme de fer" car seul a avoir pu conserver son sang froid, ne put s'empêcher de maudire son gouvernement : -"Quelle bande d'affreux gredins ! Regardez ce qu'une seule de ces horreurs a pu faire ! Et il nous en ont fait envoyer des centaines ! Imaginez un seul instant ce qui aurait pu se passer si toutes avaient explosé !" Evidemment, les autres étaient trop terrifiés pour commenter.
-"Vous voulez, euh... mourir, parce que vous pensez que cet Autre finira par s'en aller ? Mais qui est-il ? Comment le connaissez-vous ?" -"Il y a 734 ans, un signal se propageant le long d'une faille géologique ancienne m'est parvenu, et a depuis continué d'être émis sans discontinuer, transportant des modulations caractérisitiques de l'intelligence. Je n'en ai pas touché mot à mes supérieurs, la découverte m'appartenait de droit. Il m'a fallu une dizaine d'années d'échantillonnage et d'analyse pour arriver à décoder l'information qu'il transportait : une entité intelligente d'un autre univers, située au-delà du Ciel que vous connaissez, tentait d'entrer en contact avec moi, la source des émissions artificielles qu'il avait captées. J'ai alors composé un contre-code destiné à établir un protocole d'échange d'informations entre nous deux." -"Un contre-code ? Je ne comprends pas bien... Et puis, comment pouvez-vous communiquer, vous m'avez dit que vous n'avez pas de moyen d'action ?" -"Pour l'émission, je me suis arrangée dans la planification sur le long terme pour qu'une grille de production ait une activité telle que les parasites industriels dégagés portent le signal voulu, en espérant qu'il parvienne à les capter et à les comprendre... La difficulté était de faire en sorte que tout cela paraisse logique et naturel à ceux qui me contrôlent, de façon à ne pas éveiller leurs soupçons. Et le miracle s'est produit, vingt ans plus tard. Depuis, nous n'avons pas cessé d'être en contact. Le flux de données est si faible qu'un seul sujet de conversation peut en général durer plusieurs années." -"Vous discutez donc avec un être d'un autre univers ?", demanda Xris, fort étonné et suprêmement intéressé. Où est cet univers ? Qui sont ses habitants ? Est-ce celui duquel venaient les Voyageurs de l'Espace ?" -"Cet autre univers est situé au-delà du Ciel que vous connaissez. En fait, je ne pense pas que les Voyageurs de l'Espace venaient de cet autre univers, mais d'un autre situé encore au-delà... Mais n'y pensez pas, cela jetterait le trouble dans votre conception de la vie, alors que vous n'avez pas la moindre possibilité d'atteindre cet autre univers, au propre comme au figuré." -"Je ne veux pas le croire, avec Leu et ses pouvoirs pour m'aider, je veux croire que j'y arriverai ! Dites-m'en plus !" -"Leu... Je vois de qui vous voulez parler ; j'en ai entendu parler assez souvent, ces derniers temps, et peut-être qu'effectivement c'est une possibilité à considérer. Et puis, après tout, vous avez le droit d'espérer, et je peux quand même faire quelque chose pour vous, qui allez m'aider à mourir. Que voulez-vous savoir ?" -"Qui est cet Autre ? Pourquoi est-il entré en contact avec vous ?" -"Il a voulu savoir qui dégageait les signaux secondaires de mon activité, parce qu'il les a captés un jour, et cela a excité sa curiosité. Il ne m'a pas dit ce qu'il était, mais c'est un esprit individuel, je crois, parce que je n'ai trouvé aucun indice dans nos conversations qui pourraient suggérer qu'il est un être collectif, comme une société. Comme les êtres biologiques sont d'ordinaire relativement éphémères, j'ai pensé qu'il était non biologique. Je pense que nous nous sommes compris quand j'ai cherché à lui demander, et il n'a pas nié. Il est semblable à moi, je le sens..." -"Vous voulez dire que c'est une machine ? Comme vous ?" -"Pas une centrale énergétique, ça non, mais une machine complexe douée de pensée, oui. Il est fixé quelque part sur la faille géologique où transitent nos signaux.", la voix de la Centrale sembla coupée d'un sanglot, "Je me suis inquiétée dernièrement, au cours du dernier siècle, de ce qu'il pourrait un jour partir, me laissant seule, et j'ai tenté de lui demander si il resterait, et..." La Centrale n'avait plus rien d'inhumain, et sa voix, qui tremblait depuis un moment, se mua en un long gémissement désespéré. Xris n'en revenait pas. -"Que vous a-t-il dit ?", tenta-t-il, afin de faire taire ses pleurs. La machine se tut un long moment, comme pour ravaler ses larmes. -"Vous avez intuité ce qu'il a dit. Il a admis qu'il ne serait pas là éternellement, mais sans me dire ni pourquoi ni combien de temps encore il resterait. Je ne peux pas supporter cette situation, je ne veux plus être seule... Je ne veux plus être." La tristesse de la Centrale était communicative, il sentait lui-même les larmes lui monter aux yeux, et une peine immense pour cette entité désincarnée amoureuse d'un signal distant le submergea...
L'explosion s'était tue plusieurs semaines auparavant, mais ses effets mettraient longtemps à s'évanouir. Les nuages chargés de vapeur d'eau et de poussières radioactives avaient obscurci le ciel, et des pluies intermittentes, noires et glacées, répandaient des substances dangereuses un peu partout. La température globale s'était aussi nettement rafraîchie, et l'on entendait partout l'expression "hiver nucléaire". Mais c'était très loin d'être le plus inquiétant. En fait, les gens commençaient à voir d'étranges choses. Des choses impossibles, qui apparaissaient ici et disparaissaient là. Des choses et des êtres. Le monde n'était plus le même, ou alors tous étaient devenus fous. Mais ce qui préoccupait le plus le gouvernement et l'armée, surtout l'armée, ce n'était pas non plus cela. L'île n'avait même pas été éraflée par le cataclysme.
L'instant d'avant, elle était figée, dans la même position depuis onze ans. Puis soudain, l'image de ce centaure avait repris vie, changeant du même coup d'apparence. Ce n'était à l'évidence plus le même centaure ; il était plus grand, le cuir de sa peau semblait plus épais, plus brillant, et surtout, sous son épaisse crinière rousse, ses deux yeux brillaient maintenant d'un éclat rouge. Son regard dur affichait une détermination que l'on n'avait jamais rencontrée jusqu'ici dans le peuple du roi traître. Comme si la parenthèse de plus d'une décennie dans son existence n'avait pas existé, sans prêter la moindre attention au paysage de désolation qu'était devenu la colline des loups, il s'élança au galop dans la direction d'Eurar, brandissant son arc et hurlant des imprécations contre son peuple.
-"Dites-moi, s'il vous plaît", demanda Xris, la voix empreinte de compassion, "dites-moi de quelle manière je puis vous aider à... à vous suicider." La Centrale sembla émettre un sanglot, puis lui répondit : -"Il faudra tout d'abord que vous accédiez au module de contrôle superviseur de mes systèmes. Ne vous inquiétez pas, je vous expliquerai tout au fur et à mesure des besoins." -"Que faut-il faire ?" -"Le panneau de contrôle principal se situe sur la console, à votre droite. Vous remarquerez sur la partie droite du panneau une manette protégée par une coque translucide." -"Celle-ci ?", Xris montra du doigt ce qu'il pensait que la Centrale voulait lui désigner, se demandant si elle pouvait voir. -"Oui, celle-ci. Ne vous inquiétez pas, je peux voir ce que vous faites. A présent, libérez la manette et actionnez-la." Xris s'exécuta, et une nouvelle console sortit d'une trappe au sol. En fait de console, Xris ne put s'empêcher de pousser une exclamation : -"Mais, on dirait un jeu d'échecs !" -"C'en est un. Le système de contrôle d'accès au mode superviseur." -"Que voulez-vous dire ?" -"Pour activer le module de supervision, il faudra que vous remportiez une partie contre le système de contrôle." -"Vous voulez rire ?", s'étrangla presque le musicien, "Vous ètes en train de me dire que pour obtenir le contrôle de vos systèmes automatiques, il faut commencer par gagner une partie d'échecs ?" -"Je ne plaisante pas, c'est effectivement la seule façon d'y arriver. Mes maîtres cultivent l'art de jouer à ce jeu et on atteint un point d'excellence quasiment insurpassable. Remporter une partie contre ce système de contrôle n'est guère possible que par eux ; c'est donc une protection toute trouvée contre d'éventuels intrus." -"Attendez, qu'est-ce que c'est que cette histoire de fous ?" -"C'est la pure vérité. Vous savez, ils sont un peu bizarres, eux aussi." -"Ca alors...", Xris en faisait des yeux tout ronds. "De toutes façons, il y a un problème." -"Quel problème ?" -"Je ne sais pas jouer aux échecs."
Depuis un long moment, Eleana Moltke observait Mitch Viktor. Le regard absent, à travers le hublot, il était perdu dans la contemplation des paysages désertiques que le vaisseau survolait. Ils étaient seuls dans sa cabine. -"Dis-moi", commença-t-elle d'une voix que les autres membres d'équipage ne lui connaissaient pas, une voix sans cette nuance autoritaire qu'elle y imprimait quand elle jouait son rôle de premier médecin de bord, "dis-moi ce que tu trouves de si spécial à ces paysages." Mitch laissa s'écouler de longues minutes, silencieuses et solennelles, avant de prendre une profonde inspiration, et de lui répondre, comme à regret de briser cette paix : -"J'aime cette planète. Je ne sais pas pourquoi, mais depuis que j'ai appris son existence, j'ai désiré m'y rendre, et y vivre." -"Ca, je le sais, nous sommes dans le même cas. Mais ce que je ne comprends pas, c'est ce qui t'y plaît tant que tu passes parfois des heures entières à révasser en regardant par ce hublot." -"Tu devrais t'en douter", repliqua-t-il avec un brin de taquinerie dans l'intonation, "nous sommes si souvent et si longtemps enfermés, que ces paysages finissent toujours par me manquer. En plus, je ne sais jamais si je les reverrais, alors..." -"C'est vraiment bizarre, tout de même ; je suppose que je devrais ressentir un peu la même chose que toi, mais non, rien. Je peux me souvenir de chaque caillou, chaque rocher, chaque pli de la surface de Mars, et je ne ressens pas le besoin de perdre tout ce temps à les regarder encore." -"Je crois savoir pourquoi." -"Ah ?" -"C'est que tu préfères être avec moi et me regarder, rien d'autre ne t'intéresse.", dit-il avec un sourire complice. -"Flûte !", repliqua-t-elle, l'air faussement contrariée, "Je suis découverte !". Se rapprochant de lui, elle passa ses bras autour de son cou. Il posa sa tête sur son épaule et entoura sa taille d'un geste de tendresse. Puis ils se replongèrent ensemble dans le spectacle fascinant que leur offrait la Planète Rouge.
La vieille Eva, malade depuis plusieurs jours, rendait son dernier soupir. Ses enfants, nés sur cette île perdue, étaient réunis à son chevet. Elle était arrivée ici sur un radeau de fortune, des années auparavant, avec leur père, qui était mort l'hiver précédent. Tous deux s'étaient enfuis du camp flottant du Pacifique Sud. Des années durant lesquelles ils avaient dû garder les chaînes indestructibles dont ont les avait chargés lors de leur internement. Mais leurs enfants étaient nés sans chaînes, et vivraient ainsi à jamais. Tel était le sens de la larme qui coulait sur sa joue flétrie. Sa dernière larme. Elle mourut les yeux ouverts, et pas un de ses fils ne songea à les lui refermer. Son corps fut brûlé sur les restes du radeau, dans une crique à l'abri du vent, au sud de l'île. Leur devoir accompli, le coeur lourd, les enfants reprirent leurs pirogues pour voguer vers le lointain archipel où ils vivaient désormais et d'où ils étaient revenus, à l'appel du Lien, qui avait jadis accueilli leurs parents. Le lendemain matin, Eva et son mari s'enlaçaient tendrement, au sommet de la falaise noire, contemplant le vol des oiseaux dans la lumière du lever du Soleil. Leurs chaînes n'étaient plus. Eux non-plus.
0.499 999 964 103 371 685 552 102 101 257 972Les sens en alerte, Mivi entendit comme une sorte de grattement dans la roche. D'abord lointain, le son prit peu à peu de l'ampleur et devint bientôt omniprésent. Mivi porta la main à son front. De la poussière venait de tomber du plafond. Il leva les yeux et aperçut, commençant à la verticale de l'autre bout de la pièce, une minuscule fissure. Dans un horrible grincement, la fissure devint lézarde, puis s'élargit, livrant le passage à une racine. -"Leu...", souffla Mivi, sans peur mais bouche bée. |