Yasukuni Jinja, 15 août 2004
La "droite pride"

Entree
Ce 15 août, nous avions convenu avec un ami de nous rendre au temple de Yasukuni, en simples visiteurs. Le temps était pluvieux, mais la météo annonçait la fin probable de la pluie en cours de journée. Néanmoins, la lumière n'étant pas très bonne, une grande partie des photos que j'ai prises ce jour-là ne sont pas fameuses. Tant pis, vous vous contenterez des quelques-unes que j'ai pu raccomoder, mais dites-vous que vous manquez une bonne partie de la fête.
Donc, nous arrivions en haut de l'escalier du métro (Sortie 3 de la station Kudanshita de la Hanzômon) quand nous nous trouvâmes nez à nez avec une cohorte de soldats encasqués, rassemblés le long de l'avenue conduisant au temple pour quelque raison encore mystérieuse...

Nous interrogeant sur cet attroupement, nous marchons, ainsi que de nombreux autres visiteurs, vers le torii gigantesque qui est l'entrée du domaine du temple. La photo ne rend pas justice aux dimensions herculéennes de cet ouvrage de 210 tonnes en aciers spéciaux, érigé grâce à une souscription nationale fabuleuse qui a montré la force du patriotisme japonais, et qui est le plus imposant torii du pays.

Sitôt l'entrée franchie, il est impossible de manquer la colonne sur laquelle trône le bronze de Omura Masujirô, vainqueur de la bataille de Ueno contre les partisans de Tokugawa, puis ministre de la guerre à l'époque Meiji, avant d'être assassiné en 1869. Le temple fut érigé cette année-là en l'honneur de ceux qui étaient morts dans les combats qui accompagnèrent la restauration de Meiji. Son nom de "Yasukuni jinja" ("temple du pays tranquille") ne lui a été donné que 10 ans plus tard. Un musée y a été ajouté en 1882, nous le visiterons aussi.

Il supporte la pluie et les pigeons avec un flegme imperturbable, le bonhomme...

Tiens, des étudiants ! On sent comme des rapports hiérarchiques, entre ceux-ci...

Et voici que nous arrivons devant un chapiteau, duquel résonne un discours répercuté par des hauts-parleurs, et autour duquel se presse une foule habillée plutôt formellement.

A l'intérieur, une assistance disciplinée écoute avec attention. C'est qu'aujourd'hui, 15 août, est en fait le jour anniversaire de la défaite du Japon, 59 ans auparavant. Dans ce temple, haut lieu du nationalisme nippon, l'évênement va rassembler les anciens combattants, les patriotes et le gratin de la droite nationaliste... et si les gauchistes voulaient s'en mêler, nulle doute qu'il y aurait du pâté de gauchiste, ce soir au souper. D'où la présence de l'armée à l'extérieur, très probablement.

Aujourd'hui, malgré l'anniversaire de ce triste évênement, l'ambiance est sereine, détendue... Le taux de gauchistes doit être remarquablement bas, les gens ont même le sourire aux lèvres.

... Enfin pas tous, témoin ce petit groupe de protestataires en uniforme, là-bas. Contre quoi ou contre qui protestent-ils ?

Ah, évidemment, ils protestent contre le crooner qui tient lieu de premier ministre, actuellement, et qui ne fait pas le poids. Ce gars-là est plus connu pour être l'idôle des vieilles (il a même fait éditer un recueil de photos de lui nu, il y a trois ans) que pour son courage politique. Mon petit doigt me dit qu'il ferait mieux de rappliquer fissa au temple pour prier comme tout le monde s'il tient aux derniers restes de sa crédibilité en ruine...

Bon, ceci dit, dirigeons-nous vers la porte qui sépare le domaine extérieur du cœur du temple.

Encore un torii à franchir, de dimensions plus modestes que le premier, avant de pouvoir passer la porte proprement dite.

Comme il pleut depuis 4 heures du matin, les drapeaux posés à l'entrée accusent le coup. Ce rond rouge dans un rectangle blanc n'est le drapeau national du Japon que depuis le 13 août 1999, soit il y a à peine 5 ans. Les nationalistes le brandissent volontiers, mais y joignent encore plus volontiers le drapeau de la marine, qui est, il est vrai, beaucoup plus joli.

Au passage de la porte, je ne résiste pas au désir de prendre une photo du logo du temple.

Nous voici arrivés devant la tirelire du temple. Tout le monde fait la queue pour pouvoir y balancer du pognon (pièces et billets, une toile à été étendue aujourd'hui pour récupérer le trop plein), et frapper dans ses mains pour attirer l'attention des esprits qui habitent le lieu.
Les âmes de ceux qui sont morts pour le Japon habitent ce lieu, en effet. Ça fait un sacré paquet de dieux à honorer, et explique pourquoi ce temple est un des plus grands du Japon d'une part, et pourquoi il est à la foi chéri des nationalistes et haï des gauchistes d'autre part. C'est ainsi que, pour un japonais exerçant une fonction officielle, le fait d'aller prier dans ce temple revêt un caractère qu'on voudrait polémique... dans les faits, il y a ceux qui n'osent pas y aller, et ceux qui y vont en se montrant, et cela donne la droite pride !

Côté un peu inhabituel de ce temple : la librairie d'écrits consacrés au temple lui-même, car Yasukuni est un sujet en soi. On y trouve, outre les brochures historiques, des épinglettes, pinces à cravatte et autres gadgets souvenirs.

Mais n'oublions pas que c'est un temple, et qu'il y a aussi une boutique de porte-bonheurs. On notera au passage que l'assistance n'est pas composée que de vieux calcifiés.

En parlant de vieux calcifiés, en voici un qui arrive avec sa suite, apparemment. Quelle aubaine, je vais pouvoir le fixer sur matrice CCD sans avoir à fendre la foule !

Il est là, vénérable, la peau parcheminée, dans son uniforme à brandebourgs, venu pour saluer les âmes de ses amis morts au combat, accompagné de quelques camarades fidèles. Quelqu'un dans l'assistance me souffle qu'il vient prier ainsi au moins une fois par mois.

Il ne s'adresse pas directement à sa petite troupe, quelqu'un donne les ordres pour lui.

Tout y est : le drapeau, les uniformes passés, la musique, le salut.

Le vrai salut sincère d'un officier qui vient à la rencontre de son passé, ignorant l'agitation qui l'environne.
J'ai pris une séquence vidéo muette d'une minute, que vous pouvez visionner en cliquant ici (4,5 Mo environ).

En sortant de la petite place centrale, je tombe sur un type à l'allure un peu bizarre, habillé d'un uniforme de l'armée américaine trop grand pour lui et tenant un drapeau de la marine. Drôle de mélange, je fais une photo. Il me fait un salut militaire, que je lui rends par politesse, mais pas le temps de lui dire que je ne suis pas un ricain.

Mais le temple de Yasukuni est plus grand que ça , et avant de franchir la porte en sens inverse, on peut obliquer et se retrouver dans une section séparée, où se trouvent deux bâtiments principaux. La pancarte indique que dans l'un d'eux se tient une réunion des députés qui auront les couilles de venir prier avec le peuple, aujourd'hui.

Allons jeter un coup d'œil, c'est par là. Tiens donc, des flics ! Doublement inhabituel, ces flic-là sourient, d'une part, et se trouvent dans un temple, d'autre part. Mais il est vrai qu'on n'est jamais trop prudent avec les gauchistes...

Au passage, on peut apercevoir la statue générique érigée en l'honneur des chiens de l'armée morts au combat...

Et, complément indispensable, celle dédiée aux chevaux. Ce vieux semble raconter ses souvenirs à sa compagne.

Oh, les flics ont eu la permission de se garer ici !

Ah, oui, nous sommes dans le temple de ceux qui sont morts, alors n'oublions pas la statue représentant ceux pour qui ils sont morts !

Et voici donc le bâtiment dont le second étage a été réservé pour la petite partie privée des députés qui assument. Tiens, mais une clameur retentit, par là ; on dirait qu'une personnalité que ces gens apprécient vient d'arriver.

La tête grise vers le milieu à gauche, c'est Ishihara Shintarô, maire de Tokyo et nationaliste populiste et populaire, grand admirateur de Mishima et lui-même auteur à succès et idôle des jeunes dans les années 1970. De la graine de premier ministre, qui remplacerait avantageusement la lavette actuelle !

Bon, il est passé (photos floues) dans la liesse générale et est allé rejoindre la clique du deuxième étage, qui complote peut-être pour prendre le pouvoir tout en savourant un bon sake. Continuons notre visite, en direction du deuxième bâtiment principal. Sur le chemin, se trouve une petite cabane qui semble attirer l'attention des passants.

On pourrait intituler cette vitrine "Souvenirs de vacances en Birmanie", sauf que, bien que ce soient des souvenirs de Birmanie, ce ne sont pas des souvenirs de vacances. Nous approchons du musée, en fait.

Les abords d'un musée dédié à la guerre sont évidemment décorés avec des objets en rapport avec le sujet.

Et voilà le musée. Superbe baie vitrée qui donne envie d'aller voir à l'intérieur. C'est une hélice, ça, on dirait...

Mais oui, c'était bien une hélice ! Et le reste y est encore accroché !

Je me demande si on pourrait encore voler, dans ce zéro.

Bon, un musée est un musée est un musée, on y trouve le bric à brac usagé habituel.

... Et, surprise, on y trouve, en plus de jouets pour adultes, des jouets pour enfants !

Ah, oui, mais il ne faut pas négliger d'habituer peu à peu les enfants, qui grandissent, aux jouets qu'ils utiliseront plus tard.

L'armée japonaise, c'est principalement la marine. Le musée a sa galerie dédiée aux marins, aux navires, et à la guerre sur la mer.

Apparemment, chaque tableau représente un évênement précis.

Les visiteurs semblent aborbés dans la contemplation des photos des personnages exposées, comme s'ils les connaissaient.

En plus des photos, des objets personnels ayant appartenu à ces héros sont montrés.

Ils auraient tout de même pu faire un effort avec cette lame, elle est dans un état qui fait de la peine...

Les visiteurs considèrent-ils ce musée comme partie intégrante du temple ?

Bon, les musées, ça me barbe rapidement, je préfère l'air pur. Dirigeons-nous vers la porte, pour ressortir.

A l'extérieur, devant le petit torii, une autre surprise nous attend : les membres d'un petit parti d'extrême-droite sont en pleine séance de photo-souvenir.

Profitons-en, puisqu'ils prennent la pose. Tiens, on dirait que l'un d'eux à eu des problèmes pour ouvrir sa hampe de drapeau télescopique. Celui de droite tient la bannière de ce parti, ce qui m'a permis ultérieurement de trouver leur site.

Ils ont l'air amusants, avec leurs drôles de pantalons d'équitation, mais j'ai dans l'idée qu'ils resteront minoritaires, ils donnent un peu trop une impression de déjà-vu.

Pour nous remettre de nos émotions, allons casser la croûte à la cantine du temple, l'ambiance y est très conviviale, aujourd'hui.

Ourg, dans ce temple surpeuplé par les âmes des soldats, même le cuistot à l'air de sortir d'une cambuse de vaisseau de guerre !

En fait, il est très sympa et me sert mes zaru soba sans même regarder mon T-shirt pas propre de travers.

Dans cette cantine, on déjeûne vraiment avec des vieux de la vieille.

Mais ils sont tous aimables et semblent parfois venir de loin pour leur pélerinage.

Certains se réunissent pour chanter ensemble, peut-être étaient-ils copains de régiment ?

Ce jeune porte le drapeau de la marine et est en discussion animée avec un vieux à qui on ne la fait pas...

Bon, on va faire comme tout le monde, après une visite au temple, on va se rentrer...

Repassons en dessous du torii le plus haut du Japon (la photo ne lui rend toujours pas justice, décidément)...

Et devant la sortie, on croise successivement un vioque gauchiste ridicule qui vient probablement taper la provoc' avec ses pin's lamentables...

Et un jeune exalté qui harangue la foule des passants en s'indignant de ceux qui manquent de respect au temple.
Très bonne visite, je repasserai certainement, et je ferai en sorte de prendre de meilleures photos.